[LEXBASE] La troisième chambre civile de la Cour de cassation a adopté une série d’arrêts, le 8 avril et le 15 avril, assez importants. Elle a ainsi jugé qu’à l’expiration du bail dérogatoire prévu par l’article L. 145-5 du Code de commerce, il ne s’opère un nouveau bail que si le preneur reste et est laissé en possession au plus tard à l’issue d’un délai d’un mois à compter de l’échéance du contrat.

 

imagepar Bastien Brignon, Maître de conférences à l’Université d’Aix-Marseille, le 11-05-2021 pour Lexbase

Hebdo édition affaires n°675 du 13 mai 2021 : Baux commerciaux

Réf. : Cass. civ. 3, 15 avril 2021, n° 19-24.231, FP-P (N° Lexbase : A79994PX

 

Le preneur ayant formulé une demande de renouvellement du bail aux clauses et conditions du précédent bail et le bailleur ayant exprimé son accord pour un renouvellement aux mêmes clauses et conditions antérieures, les parties, ayant toutes deux exprimé leur volonté de voir renouveler le contrat « aux mêmes clauses et conditions antérieures » sans mention d'aucune réserve, ont conclu un accord exprès sur les conditions et clauses du bail précédent, de sorte que la demande ultérieure en fixation du loyer du bail renouvelé doit être rejetée.

 

1. Si le mois d’avril 2021 n’est malheureusement pas celui de la réouverture généralisée des commerces en raison de la crise sanitaire, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a tout de même adopté une série d’arrêts, le 8 avril et le 15 avril, assez importants. Elle a ainsi jugé qu’à l’expiration du bail dérogatoire prévu par l’article L. 145-5 du Code de commerce (N° Lexbase : L5031I3Q), il ne s’opère un nouveau bail que si le preneur reste et est laissé en possession au plus tard à l’issue d’un délai d’un mois à compter de l’échéance du contrat. Si cette solution peut paraître classique en ce qu’elle correspond en tous points à la lettre même de l’article L. 145-5 précité, elle nous paraît en réalité assez nouvelle en ce qu’elle met en œuvre, pour la première fois semble-t-il, l’alinéa 2 dudit article, dans sa mouture issue de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises (N° Lexbase : L4967I3D), dite loi « Pinel », qui prévoit désormais un éventuel délai supplémentaire d’un mois en la matière.

2. Le 8 avril 2021, elle a également jugé que « sauf disposition expresse, tant les grosses réparations que le paiement de la taxe foncière sont à la charge du bailleur et que les obligations incombant normalement au bailleur, dont celui-ci s'est déchargé sur le locataire, constituent un facteur de diminution de la valeur locative », en conséquence de quoi la cour d’appel ne saurait décider que, dans les centres commerciaux et dans les grandes surfaces, il est d’usage que les charges relatives aux travaux visés à l’article 606 du Code civil (N° Lexbase : L3193ABU) et au remboursement de la taxe foncière soient imposées au preneur, qu’elles ne sont donc pas exorbitantes et que les valeurs locatives de référence concernent des locaux et des baux incluant la prise en charge par le preneur de l’impôt foncier et des travaux de l’article 606 du Code civil précité.

3. Sur ces deux très intéressantes affaires, on lira avec attention, notamment, la lettre d’actualité du mois de mai 2021 du Cabinet Blatter.

4. Pour notre part, nous retiendrons ici l’arrêt en date du 15 avril 2021, publié au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation et annoté dans la lettre de la troisième chambre civile n° 3 de mai 2021, considérant que l’accord des parties sur le prix du bail renouvelé peut résulter de la confrontation d’une demande de renouvellement du bail « aux clauses et conditions du précédent bail » et de l’accord du bailleur « pour un renouvellement aux mêmes clauses et conditions antérieures ». En l’absence de réserves sur le prix, la demande de fixation du loyer du bail renouvelé faite par le locataire doit en conséquence être rejetée.

5. La décision, à propos de laquelle on lira, entre autres, les commentaires de Maître Blatter et de Maître Confino, très lourde de conséquences pour le preneur, nous paraît justifiée.

6. Au cas d’espèce, il s’agissait d’un bail commercial comportant un loyer annuel indexé de 343 000 euros (300 000 euros hors indexation). Le moment venu, la société locataire a fait notifier à sa bailleresse une demande de renouvellement le 23 novembre 2016 « aux mêmes clauses et conditions », acceptée par cette dernière deux jours plus tard, également « aux mêmes clauses et conditions antérieures ». Néanmoins, quatre jours après l’acceptation de la bailleresse, la société locataire lui faisait part de son souhait de voir le prix du bail réduit. Et, quelques mois plus tard, elle notifiait à la bailleresse, qui avait refusé cette proposition, un mémoire préalable en fixation du prix du bail renouvelé à un montant inférieur à celui du précédent bail, 160 000 euros précisément, puis saisissait le juge des loyers commerciaux en ce sens. Mais, ce dernier la déboute, estimant que la bailleresse avait expressément accepté le renouvellement du bail aux mêmes clauses et conditions que précédemment et que cet accord concernait aussi le maintien du prix, ce qui, avouons-le, n’est pas fréquent en pratique.

7. La question posée était donc de savoir si, lorsque les parties à un bail commercial expriment leur accord pour un renouvellement du bail « aux clauses et conditions du bail précédent », cet accord porte également ou non sur le prix du bail.

8. Pour sa part, la cour d’appel d’Aix-en-Provence, confirmant la position du juge des loyers de Grasse, avait jugé que le bail était renouvelé à son prix antérieur. Elle avait relevé « que les parties ont toutes deux exprimé leur volonté de voir renouveler le contrat "aux mêmes clauses et conditions antérieures" sans mention d’aucune réserve, qu’il ne s’agit nullement d’un accord tacite d’une des parties, mais d’un accord exprès sur les conditions et clauses précédentes sans qu’il soit exigé que la demande de renouvellement ou d’acceptation les détaille toutes pour valoir engagement des parties ». Elle en avait conclu « que cet accord sur les éléments essentiels du contrat, résultant de la rencontre de la volonté des parties, était parfait et ne pouvait plus être remis en cause ».

9. Le preneur, qui n’était autre que la société GEOX, soutenait que « le principe du renouvellement du bail peut être acquis sans que les parties aient pu trouver un accord sur le prix qui est fixé ultérieurement ; que toutefois, si le renouvellement n’est pas subordonné à l’accord sur le prix, aucune disposition n’interdit aux parties de fixer dès le renouvellement le prix du bail ; que l’autonomie des clauses générales du bail n’impose nullement de procéder en deux étapes, en fixant dans un premier temps le renouvellement, puis dans un second le prix ; que les parties peuvent convenir dans le même temps que le bail sera renouvelé aux clauses et conditions du bail antérieur, y compris le prix ».

10. Les juges aixois rappelaient également « que la jurisprudence s’oppose à ce que le silence du bailleur pendant un délai de trois mois, qui doit s’analyser comme un accord sur le principe du renouvellement en application des dispositions de l’article L. 145-10 du Code de commerce (N° Lexbase : L2008KGH), puisse également être interprété comme un accord sur le prix en conformité avec les termes de ce texte ».

11. En effet, faute de réponse à la demande de renouvellement du locataire dans les trois mois, le bail commercial se renouvelle aux clauses et conditions du bail expiré, y compris la clause relative à l'indivisibilité des locaux. De même, le bailleur qui n’a pas répondu dans le délai imparti, ne peut ultérieurement refuser ce renouvellement pour motif grave et légitime en invoquant des faits dont il avait connaissance à la date de l’acceptation réputée du renouvellement. Dans le même ordre d’idée, si le bailleur, qui a répondu tardivement à une demande de renouvellement émanant du preneur, est réputé avoir accepté le principe du renouvellement, il n'est néanmoins pas privé du droit de demander la fixation d'un nouveau loyer. Comme Yves Rouquet l’a relevé, le silence du bailleur ne vaut acceptation que du principe du renouvellement, mais non pas des modalités, en particulier du prix du loyer du bail renouvelé lequel, s’il n’est pas fixé, peut venir perturber précisément le renouvellement, sur le fondement éventuellement de l’article L. 145-57 du Code de commerce (N° Lexbase : L5785AI4).

12. Mais, comme les juges aixois le relèvent ici, « tel n’est pas le cas en l’espèce puisqu’il ne s’agit nullement d’interpréter le silence du bailleur […] ce dernier a, par acte du 25 novembre 2016, exprimé son acceptation des modalités du bail sans exclure celles relatives au loyer et a fait connaître sa position avant toute contestation du prix par la locataire ».

13. Le preneur soutenait que la mention « aux clauses et conditions du bail venu à expiration » insérée dans une demande de renouvellement du bail, si elle peut traduire la volonté de renouveler le bail, ne peut suffire à caractériser un engagement précis, complet et ferme du locataire sur le montant du loyer du bail à renouveler. Ainsi, selon la société GEOX, les juges du fond ne pouvaient pas rejeter sa demande de voir fixer judiciairement le loyer de renouvellement du bail, au motif que les parties ayant toutes deux exprimé leur volonté de voir renouveler le contrat « aux mêmes clauses et conditions antérieures » sans mention d’aucune réserve, l’accord explicite des parties portait également sur le prix.

14. La Cour de cassation rejette pourtant le pourvoi, confirmant l’analyse des juges du premier et second degré : « ayant souverainement retenu que, les parties à un bail commercial ayant toutes deux exprimé leur volonté de voir renouveler le contrat "aux mêmes clauses et conditions antérieures", sans mention d'aucune réserve, elles avaient conclu un accord exprès sur les conditions et clauses du bail précédent, la cour d'appel en a exactement déduit de ce seul motif, que la demande, formée par le preneur, en fixation du loyer du bail renouvelé devait être rejetée ».

15. Quelle portée attribuer à cette solution qui a, sans conteste, valeur de principe ?

16. D’une part, et c’est important, en rejetant le pourvoi du preneur, la troisième chambre civile de la Cour de cassation consacre le pouvoir souverain des juges du fond en ce qui concerne la portée de l’accord des parties. D’autre part et surtout, elle adopte une solution, pour certains un tantinet différente, pour d’autres radicalement différente, de celle ressortant d’un arrêt de 2009 ayant approuvé la cour d’appel de Paris d’avoir jugé que si la mention « aux mêmes clauses et conditions du bail antérieur » pouvait traduire la volonté du preneur de renouveler le bail, cette formule d’usage, qui ne faisait aucune référence exprès au loyer, élément essentiel du contrat de bail, « ne pouvait suffire à caractériser un engagement précis, complet et ferme de la locataire sur le montant du loyer du bail renouvelé ».

17. Telle était bel et bien la thèse de la société GEOX : la demande de renouvellement pouvait tout au plus traduire la volonté du preneur de renouveler le bail mais, dénuée de référence à un montant quelconque du nouveau loyer, elle ne pouvait caractériser une offre à cet égard, ce d’autant plus que, s’agissant de bureaux, le principe du plafonnement était étranger aux rapports juridiques entre les parties. Toutefois, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de 2009, les circonstances étaient à la fois tout autres et particulières : le bailleur avait fait délivrer un congé avec offre de renouvellement et proposition d’un nouveau loyer et le loyer initial avait été modifié par deux avenants et avait été augmenté chaque année par le jeu de la clause d’indexation. Au demeurant et de la même manière, les circonstances de l’arrêt sous commentaire sont également assez particulières, à tel point d’ailleurs que certains s’en saisiront pour restreindre la portée dudit arrêt, au premier rang desquels, sans doute, l’huissier de justice, auteur de la demande en renouvellement du preneur, dont la responsabilité professionnelle serait susceptible d’être engagée.

18. Face à la thèse du preneur fondée essentiellement sur la solution de l’arrêt précité du 24 juin 2009, les juges aixois, mettant en exergue la parfaite concordance entre la demande de renouvellement du locataire « aux clauses et conditions que le précédent bail » et la réponse du bailleur pour un renouvellement aux mêmes clauses et conditions antérieures, en concluent que dès lors qu’il n’y avait aucune réserve d’une partie ou de l’autre sur le montant du loyer, le renouvellement était parfait, l’accord explicite des parties portant également sur le prix.

19. Dans ces conditions, la Cour de cassation approuve l’excellent raisonnement tenu par la cour d’appel d’Aix-en-Provence, sur le fondement de l’appréciation souveraine du juge du fond, ces derniers n’ayant absolument pas dénaturé les écrits qui leur étaient soumis. La cour d’appel est approuvée en ce qu’elle a retenu que les parties avaient toutes deux exprimé leur volonté de voir renouveler le contrat « aux mêmes clauses et conditions antérieures » sans mention d’aucune réserve, et estimé en conséquence que les parties avaient conclu un accord exprès sur les conditions et clauses du bail précédent, rendant dès lors irrecevable la demande en fixation du loyer du preneur.

20. La règle selon laquelle le bail se renouvelle aux clauses et conditions antérieures, excepté sur le prix, est-elle appelée à perdurer au lendemain de l’arrêt du 15 avril 2021 ? On peut le penser, sauf bien entendu si un accord exprès sur le prix intervient, ce qui est possible, et sauf, et c’est cela qui est nouveau, s’il n’y a aucune réserve en la matière, étant rappelé que le bail peut parfaitement se renouveler (uniquement sur le principe), même en cas de désaccord sur le prix.

21. Pour conclure, il reste à formuler quelques dernières observations. D’abord, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a pu rendre deux décisions qui doivent être mentionnées ici, car elles intéressent de près ou de loin cette question du renouvellement aux clauses et conditions antérieures, y compris le loyer. La première, relative à une clause résolutoire que le bailleur souhaitait mettre en œuvre, a estimé, dans un arrêt, un peu surprenant, du 19 avril 2018, que la référence à des clauses issues du précédent bail était sans valeur, ce qui tranche nettement avec la solution retenue aujourd’hui.

22. La seconde, relative à une clause de renouvellement automatique du bail, a jugé qu’une telle clause, en vertu de laquelle le bailleur renonce à se prévaloir du droit de mettre fin au bail, doit exprimer la volonté claire et non équivoque des parties de renouveler le bail conclu pour une durée de neuf ans. Tel n’est manifestement pas le cas d’une clause d’un bail commercial qui prévoit sans autre précision que si aucune des parties ne dénonce le contrat, celui-ci sera renouvelé par tacite reconduction ; dans cette hypothèse, le bail initialement conclu s’est prolongé à l’issue d’une période de neuf années pour une durée indéterminée. Cette solution peut également paraître singulièrement différente de celle retenue dans l’arrêt du 15 avril 2021, à tout le moins si on estime que cet arrêt de 2021 promeut le silence et prohibe l’explicite, ce dont on doute.

23. Quoi qu’il en soit, il faut être particulièrement attentif et rigoureux s’agissant des renouvellements de baux commerciaux aux clauses et conditions antérieures. En effet, il est très rare en pratique que le bail se renouvelle au même loyer. De plus, avec l’adoption de la loi « Pinel » du 18 juin 2014, renouveler aux clauses et conditions antérieures, postérieurement à cette loi, un bail conclu antérieurement à elle, risquerait d’aboutir à un bail hors la loi tellement ses clauses pourraient souffrir d’une très forte absence d’actualisation.

24. L’arrêt du 15 avril 2021, rendu contre l’avis de l’Avocat général, ne marque pas vraiment une rupture radicale avec l’arrêt de 2009. La règle demeure que la mention litigieuse de renouvellement « aux mêmes clauses et conditions que le précédent bail » ne peut donc emporter un accord des parties sur le loyer renouvelé à défaut de mention d’un loyer explicite. Simplement, l’arrêt de 2021 précise, en creux, que la mention du loyer explicite n’est pas nécessaire dès lors qu’il n’y a aucune réserve. Faudrait-il donc systématiquement et dorénavant émettre des réserves ? Nous ne le pensons pas. Pour plus de précaution, et parce que cela va mieux en le disant ou l’écrivant, il nous paraît prudent tout de même de privilégier l’explicite et l’exprès, pour éviter de mauvaises surprises. Il nous paraît ainsi prudent de rédiger intégralement un nouveau bail au moment de son renouvellement, fût-ce aux mêmes clauses et mêmes conditions. L’évolution à très grande vitesse du droit des baux commerciaux nous y encourage.